Big Jim Harrison (1937-2016) – L’ivresse des grands espaces et du Bandol
Noël 2018.
Je tombe sur « Un Sacré Gueuleton » de Jim Harrison. Une gueule pas possible au cuir tanné, au sourire gigantesque surplombé d’un duvet indiscipliné. L’inventaire des souvenirs gargantuesques de l’écrivain aux dents du bonheur plantées de traviole. Au fil des pages, j’ai l’impression de me faire un copain, un frère: il nous faut vivre pour boire et dévorer. Et le père Harrison, c’est du Bandol, qu’il boit. Du Domaine Tempier.
Je m’habille et parcours tout le quartier à la recherche d’une bouteille. Je donne 28 euros que je ne possède pas au caviste. C’est pratiquement donné, pour avoir le droit de continuer ma lecture, un verre d’or rouge à la main.
Ce Bandol, c’est l’ombre protectrice d’un sous-bois un jour d’été, la mousse épaisse et terreuse sur laquelle je marche pieds nus l’automne venu. Tout est là, pour moi. Les yeux fermés, je vois l’ami merveilleux dans sa cabane de Grand Marais. Il prépare un plat épicé, il chantonne, pensif, une mélodie ancestrale de la tribu Chippewa. Et je bois encore. Jim va finir par me faire aimer la vie.
Je termine dans un soupir et découvre qu’il est mort deux ans plus tôt. Dur de porter le deuil d’un frère qu’on n’a pas connu, plus encore au milieu de la nuit, quand tout est perdu.
J’écris une lettre à l’amie de toujours, Lucie Peyraud, au Domaine Tempier. Je lui dis que j’aime son vin, que j’aime Jim Harrison, que je suis écrivain et que je suis ému, cette nuit. Je joins une de mes nouvelles à la missive.
Les mots de Lucie me parviennent le 13 janvier 2020. Elle a aimé ma nouvelle et scelle notre amitié naissante par une photo d’elle, centenaire, un verre à la main. J’aimerais rencontrer Lulu et l’entendre parler de Jim.
En octobre 2020, notre petite bande tombe sur sa deuxième bouteille bouchonnée : Lulu a abandonné sa balançoire pour toujours pour retrouver son Lucien et l’ami Jim.
Je me console car je sais qu’ils m’attendent quelque part, entre les plaines du Michigan et les vignobles de Bandol.
Le jour de nos retrouvailles, il faudra être toujours ivre. Mais de quoi ? De La Migoua, de La Tourtine, ou de Cabassaou, à notre guise !