Daniel Smart Fante (1944-2015), fils d’écrivain
Je traîne au Bookstore de Biarritz. Incrédule, je découvre qu’il existe des livres de Fante que je ne possède pas dans ma bibliothèque. J’ai lu un peu vite. Il existe des livres d’un certain Fante prénommé Dan, que je ne possède pas dans ma bibliothèque. Je prends un titre au hasard, que je ne me résous pas à ouvrir. A la place, j’arrache un morceau de couverture et dissimule le torchon derrière une pile de livres.
Jusqu’à cet instant, Fante, c’est juste John, mon père littéraire, mort en mai 1983 d’une pneumonie, affaibli depuis des décennies par le diabète et l’alcoolisme. Le vieil écrivain aveugle accepte de faire son check-out, pour que son fiston -votre serviteur-, puisse naître 9 mois plus tard, fin janvier 1984. Ce que je dis vous paraît loufoque, je parie. Chacun pense ce qu’il veut.
A la terrasse du Royalty, j’essuie la mousse durcie qui colle à mes moustaches. Recherche rapide. Dan Fante est bien le fils biologique de John. De retour au Bookstore, je choisis un exemplaire immaculé de Rien dans les Poches, décidé à lire le roman de l’imposteur, certain de la médiocrité du fils raté.
Dans le salon, celui qui se fait appeler Fante et moi, jouons à Règlements de Comptes A OK Corral. On se jauge. Des virevoltants traversent la pièce. Flingue à la ceinture, nos doigts nerveux s’agitent comme des tarentules, dont les pattes chatouillent la crosse des Colt 45. Au bout de 2 minutes, j’ai des fourmis dans les doigts, alors je l’ouvre et je lis. Démence et abomination. Avec patience, Dan Fante amoncelle les petites pierres de son malheur, pour bâtir une muraille qui suinte la solitude, le désamour et les excréments. La plume de Dan m’étreint et m’entraine loin vers l’abime, là où finissent les âmes cabossées de ce monde.
En moins de deux, je me surprends à être déjà de son côté. « Non, Dan, rentre chez toi. Laisse ce verre où il est. Cette histoire finit mal ! ». Je suis assis avec lui, on partage une bouteille de Fireball sur son plumard à punaises de lit, au fond d’une piaule anonyme de LA, coincée contre le couloir morne d’un motel immonde. Puis c’est le vide. On se réveille trois jours plus tard dans sa voiture, au milieu de la plage de Santa Monica, slip et pantalon sur les chevilles. L’envie de dégueuler rivalise avec celle de m’enquiller un nouveau verre de Mogen David trop sucré. Ici, en compagnie de Dan, je veux sombrer comme son Bruno Dante et m’abandonner à la part d’ombre qui sommeille en chacun de nous.
Il parait que Dan Fante avait un père écrivain.